On n’a pas la pire fiche technique de l’ouest.
Un sol stable, propre et plat.
Ce n’est pas la mer à boire.
Non, c’est exact, ce n’est pas la mer. C’est un champ. En pente.
L’herbe desséchée par un été torride n’a pas résisté à trois jours de festival. Il ne reste que de la paille, et de la poudre de terre.
On s’attend presque à voir rouler des boules de sassafras au son de l’harmonica. Sauf qu’ici, c’est un festival rock, il n’y a pas d’harmonica, mais des canettes de bières qui tintinabullent sous nos pieds.
Il y a des tentes aussi. Partout. On est limite jaloux. En même temps, on est là pour bosser et franchement, on se demande un peu comment on va s’y prendre.
On a beau savoir, après des années de tournées, qu’on est tout terrain, on a un doute. Il y a du monde. Sous les tentes.
Ils n’ont pas l’intention d’en sortir sans avoir entendu au minimum un peu de guitare.
Ils nous regardent de loin, imbibés de musique et d’alcool, recuit de soleil, et visiblement à peine réveillés.
Petite déambul pour tâter le terrain. Ironie, colère et indifférence. A priori, ils veulent juste déjeuner en paix.
Sauf qu’il est 15H, et qu’on a un contrat, il va falloir y aller.
Heureusement les bénévoles ne nous ont pas abandonnés. Ils poussent devant eux des grappes de festivaliers réticents et à moitié nus.
Les tapis font le reste. Après tout, être vautré là ou ailleurs. Bon, avec un public, c’est quand même plus simple.
Ivan démarre. Mais ça ne ressemble pas à un public. Plutôt à une plage. Ca se crème, ça discute et surtout ça se fout de la gueule de l’endimanché qui gesticule en face.
Je commence à noter que sans enfant, notre peau ne vaut pas très cher, que peut-être on s’est endormi, à force de s’appuyer sur le rire du gamin, celui qui fissure le sérieux des grands, le coin dans la brèche.
Pourtant le silence s’installe. Doucement. Je me dis qu’ils se sont endormis.
Mais non. Ils se concentrent. Les  » 2 secondes », ils connaissent, et ils savent que même à jeun, c’est pas gagné.
Le plus coriace est à côté de moi. En retrait.
On sent le musiqueux. On sent trois jours de bières et de nuits blanches.
Les clowns, c’est pas son truc. Il vanne Ivan. Il commente. Il ricane. Et puis, sans s’en rendre compte, il conseille, il peste quand la tente se rouvre. Il compatit.
Et enfin, il applaudit avec les autres comme un gamin.
Couvert de sueur et de poussière, Ivan salue, l’air hébété du cow-boy sorti vivant d’un rodéo.
Mon rebelle se joint aux autres pour aller lui taper sur l’épaule.
On a changé la vie de personne sous le soleil de plomb de ce festival jurassien, mais on est reparti heureux comme des braqueurs de banques.
AB